Conception et architectures sous-marines (C. Camus)

du GRIEF
Nous avions évoqué, avant le confinement, la possibilité de discuter de la définition des axes de recherche du GRIEF et des différentes manières de s’y engager. Le Covid-19 étant passé par là, il semble que ce projet soit devenu moins urgent, mais je souhaite cependant relancer le débat et les discussions autour de cet enjeu de structuration du labo, simplement en diffusant la manière dont je me suis emparé de cette question dans une contribution au dossier Hceres et à partir d’un billet de mon Carnet de recherche Hypothèse.org
CONCEPTION, MÉDIATIONS & « ARCHITECTURES » EXTRÊMES
par Christophe Camus
Mes activités de recherche s’inscrivent pleinement dans l’axe Conception, formes et pratiques du GRIEF en s’organisant principalement autour de deux programmes :
1-Conception, pratiques et médiations architecturales
2-Visions et conceptions des futurs de l’architecture : habiter et construire sous la mer
Je résume brièvement le premier programme, en rappelant qu’il développe une sociologie de l’architecture qui s’intéresse prioritairement aux pratiques conventionnelles des architectes, soit la maîtrise d’œuvre, qu’elle soit ordinaire ou même starchitecturale, quelles que soient les échelles d’intervention ; autrement dit à des pratiques impliquant un travail de conception et de production architecturale, principalement en faisant appel à des médiations, allant de la communication ordinaire entre concepteurs à la celle plus stratégique qu’on rencontre dans les concours ou dans tous les échanges intéressés avec un destinataire ou un client et, enfin, donnant lieu à des formes de médiatisation autoproduites ou distribuée dans réseaux plus institués qui en fondent simultanément toute l’architecturalité (la qualité ou la valeur pour l’Architecture, avec un grand « A » !) et l’intérêt et l’utilité sociale.
Appuyé sur un certain nombre d’enquêtes ayant donné lieu à publication[1], ce programme sera poursuivi par une veille sur ces questions, par quelques publications conjoncturelles, ainsi que par le projet d’écriture d’un petit ouvrage synthétique et didactique reprenant et actualisant les recherches présentées plus en détail dans mes autres publications. Provisoirement intitulé L’architecture comme médiation, cet ouvrage pourrait ainsi constituer un manuel de sociologie de l’architecture et pour architectes, visant à expliciter l’idée que cette pratique n’est qu’une affaire de médiations.
Le second programme a été développé à mon arrivée au GRIEF, dans le prolongement d’un séminaire de master visant à interroger les pratiques, les projets et les productions architecturales comme autant de façons d’imaginer, de représenter et de projeter des mondes à venir, cela en comparant divers moments historiques, des années 1950 à aujourd’hui, afin de mieux saisir les effets des changements de régime d’historicité (modernisme, postmodernisme, sur- ou hyper-modernité). Après plusieurs explorations menées dans un cadre pédagogique, il a été choisi d’enquêter plus particulièrement sur la conquête-colonisation de nouveaux espaces et, plus particulièrement, sur les programmes (technoscientifiques) et les projets (utopiques et architecturaux) d’habiter et de construire sous la mer. Envisagés dès les années 1930 (par l’entreprise de travaux sous-marins Siebe-Gorman), développés dès la fin des années 1950 (G. F. Bond), initiés en 1962 (Link et Cousteau), puis prolongés sans discontinuer durant les décennies suivantes, avant de donner lieu à des réalisations spécifiquement architecturales à la fin des années 1970 (Rougerie), cette quête singulière nous a semblé tout à fait pertinente et adaptée au questionnement des futurs de l’architecture, mais également au regard de nos recherches initiales liant conception et médiations architecturales. En effet, ayant décidé de resserrer notre enquête autour des deux figures structurantes, du « commandant » J.-Y. Cousteau à l’architecte J. Rougerie, nous sommes en mesure d’interroger la conception, pratique technique ou bien architecturale, la question des médiations et du médiatique (montrer qu’on peut habiter sous l’eau ou montrer que c’est aussi de l’architecture), la question des formes designées, que ce soit pour le cinéma ou pour fonder une architecture de la mer (mérienne, dirait Rougerie) ; cela sans oublier le rapport, conquérant puis écologique à un milieu naturel perçu différemment dans les années 1960 ou 1970. Centrée sur la période faste de cette aventure qui s’étend de 1962 au début des années 1980, nous entendons également la prolonger jusqu’à aujourd’hui, ne serait-ce que pour examiner la rupture qui s’y opère à travers un arrêt relatif des programmes technoscientifiques parallèlement au développement de projets d’architectures sous-marines redevenus utopiques à grand renfort de pixels.
La poursuite de ce programme de recherche devrait donner lieu à de nouveaux articles scientifiques, mais vise à terme, une publication d’ouvrage rendant compte de cette enquête.
Parallèlement à cela, nous envisageons à une échéance plus proche, la rédaction et publication d’un petit ouvrage abordant ces questions de conception, pratiques et formes architecturales de façon non conventionnelle. Provisoirement pensé et intitulé : Cousteau, architecte ? ce petit ouvrage se propose d’examiner la figure singulière du non-architecteJacques-Yves Cousteau, marin, explorateur, homme d’images et pionnier des premières expériences de maisons sous la mer qui ont eu une influence considérable sur la possibilité d’une architecture de ce milieu extrême.
En guise d’exemple d’investigation de la conception dans ce second programme, je vous invite à consulter le (long) billet Manières de concevoir un engin sous-marin, que je viens de publier sur mon Carnet de recherche et qui s’intéresse à deux manières de concevoir un bathyscaphe, celle du physicien A. Piccard et de l’ingénieur M. Cosyns, contre celle des marins et surtout pionniers de l’exploration sous-marine que sont F. Dumas et J.-Y. Cousteau. S’il n’y a pas encore d’architecte ou d’habitat dans cette histoire, elle illustre néanmoins une approche globale de la technique, sans doute plus proche de ce que vise (parfois) l’architecture (en tout cas, c’est une hypothèse à tester).
> Plan du futur FNRS 3 [bathyscaphe] ébauché par Dumas
(Publié dans Franck Machu, Frédéric Dumas, fils de Poséidon,
Éditions de l’Homme sans poids, 2017, p. 98).
[1] On renvoie ici, principalement, à l’ouvrage : C. Camus, Mais que fait vraiment l’architecte ? Paris, L’Harmattan, 2016.