La fabrique du patrimoine XXe – De l’industrie à la ville marchandise : quel héritage architectural dans l’évolution urbaine mondiale ?
Par Julie Drappier et Moanna Rosier, architectes, The H(eritage) project. Saint-Médard-en-Jalles (33).
>> Le mercredi 31 janvier à 18h.
Biographie :
The H Project est une association ayant pour mission d’étudier, de questionner et de promouvoir le patrimoine XXe et sa conservation à travers le monde. Il part de l’envie commune de deux jeunes architectes d’aller à la rencontre d’un « autre patrimoine », dans des villes émergentes dont l’héritage architectural, social et culturel s’est forgé principalement au XXe siècle. À travers 4 villes emblématiques dans le monde, elles mènent une enquête entre architecture et journalisme. Comment les villes de ce siècle considèrent-elles cet héritage architectural, comment le conservent-elles et dans quels intérêts?
L’enjeu de ce laboratoire est de questionner et rassembler les professionnels et acteurs du patrimoine autour d’un thème : l’avenir du patrimoine XXe. Il s’agit pour ce faire de partir à leur rencontre, recueillir leurs savoirs et opinions afin d’alimenter une réflexion et d’argumenter sur la conservation aujourd’hui et demain. Guidé par l’analyse de programmes inédits propres au XXe siècle (industrie, bureaux, malls etc.), un regard nouveau est apporté visant à comprendre comment les villes et leurs habitants les appréhendent au quotidien et les intègrent à leur histoire.
Il est question de reconsidérer le dialogue entre passé et avenir, d’explorer d’autres politiques, d’impliquer de nouveaux acteurs quitte à changer certains codes. Il n’existe pas une unique façon de fabriquer du patrimoine et de s’approprier son héritage. Cette recherche a pour ambition de répertorier cette pluralité, d’ouvrir notre pensée, de se nourrir d’autres cultures et d’autres façons de faire.
Présentation :
« Not everything is going to be saved. Not everything is supposed to be saved. » Dawn Bilobran, vice présidente de l’association Preservation Detroit à propos des biens patrimoniaux de Détroit aux USA.
Si cette affirmation peut interpeller certains experts en patrimoine, elle est convenue dans des villes récentes où le XXe siècle et ses mutations ont bouleversé les codes identitaires et le rapport des habitants à leur ville. En ce sens, la fabrique du patrimoine elle aussi évolue. On parle de « fabrique » car un objet architectural ne devient patrimoine qu’à partir du moment où on le sacralise. Où il est détaché de son contexte et existe en tant que tel, suffisant à l’identité qu’il symbolise et reflète. Qu’attendons nous de lui ? A-t-il un rôle de mémoire ? Un rôle structurel, économique dans le tissu urbain ? Cycliquement cette fabrication se manifeste 50 ans minimum après la construction d’un édifice. Aussi le patrimoine XXe engage aujourd’hui ces questionnements.
Des questionnements qui prennent place dans un contexte socio-économique insolite sans précédent. La mondialisation, le défi de la mobilité, la surconsommation, les loisirs sont des notions propres au XXe siècle qui ont bouleversé l’histoire des villes et son architecture, jusqu’à remettre en question l’importance de conserver ce patrimoine. Ce patrimoine se doit d’exister au delà d’un bien culturel. Car les villes XXe, victimes de leur évolution rapide et constante, n’ont pas toujours, ou encore pris, la mesure de ce qui fait état de mémoire. Ainsi quand elles y sont sensibles, les politiques de la ville cherchent elles à aller au delà de l’adage : conserver pour la postérité. Cette conférence sera l’occasion de passer en revue plusieurs systèmes de conservation mis en place par 3 pays différents : les États-Unis, les Émirats Arabes Unis et Hong Kong en les exposant au regard de nos politiques européennes. Un moyen de comprendre comment elles reconsidèrent le dialogue entre passé et avenir.
L’itinéraire choisi par The H Project pour analyser ce nouveau patrimoine suit une logique composée de deux axes fondateurs : l’héritage industriel et la ville marchandise. Deux thèmes qui ont défini les nouveaux codes fonctionnels, techniques et esthétiques d’une époque, et qui sont à l’origine de l’identité et des racines de notre société actuelle. Si on s’interroge sur quelles sont les nouvelles puissances mondiales du siècle dernier, quels pays ont été les grands bâtisseurs de cet âge, quels sont les nouveaux leaders influents des cultures orientales et occidentales ? On arrive rapidement à la conclusion que les États-Unis, les États du Golfe et la Chine culminent en tête du classement.
Première puissance mondiale du XXe siècle, les États-Unis ont très vite dominé le monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Terre d’immigrés depuis toujours, la culture du self-made-man et de l’entertainment attire ceux qui ont besoin de rêver, cultivant cette fascination à travers une image de liberté et de plaisir. Dans cet imaginaire, l’automobile et le cinéma en sont les symboles, plaçant les villes de Détroit et Los Angeles comme le terrain d’étude idéal. Deux villes au destin prospère et commun à l’aube du XXe siècle mais qui suivront des routes tout autres dès les années 50. À leur manière, elles renferment un patrimoine toujours vivant pour Los Angeles, ou fantôme, figé à une époque désormais révolue pour Détroit. Une singularité les rassemble pourtant : une architecture fonctionnelle à la structure modulaire qui en s’adaptant parfaitement à différents usages arrive à se renouveler à travers les âges. Il est question lors de cette conférence de faire état de ces témoins du passé et des traces que les industries du film et de l’automobile ont semées à travers la ville.
Dès les années 60-70, on assiste à l’émergence de nouvelles puissances mondiales dont l’empire s’est forgé sur le pétrodollar, le commerce et la finance. Un moteur économique mais aussi architectural qui a vu se créer malgré lui une architecture mondiale. Déjà enclenché par le style international au début du siècle, les matériaux en sont sensiblement les mêmes : verre, métal, béton, avec une évolution allant du high-tech au postmodernisme retrouvant une utilisation de la pierre en parement. Sur ce fond d’unité éclectique, le mall et la tour en sont désormais les symboles. Dubaï et Hong Kong sont d’excellents cas d’étude de cette révolution post-industrielle. Toutes deux des villes cosmopolites, terres d’accueil des enfants de la mondialisation, elles se cherchent tant bien que mal une identité propre. Le pensant dans les racines de leurs cultures ancestrales, elles nient encore le fait que leur singularité tire sa force du multiculturalisme qu’elles ont généré. En découle un patrimoine protégé rêvé, idéalisé, complétement décontextualisé de la réalité architecturale qui a façonné la ville à ses plus beaux jours. The H Project partagera cette vision du patrimoine de ces villes avant de conclure sur l’avenir de cette fabrique du patrimoine XXe qui a encore de beaux jours devant elle.
Bibliographie disponible au centre de documentation de l’ENSAB :
– Reynaud Sonia, « Deux architectes tracent leur tour du monde », Sud Ouest, 8 août 2015,
– Drappier Julie, Goutti Pierre, Renaître de ses cendres : mutations engagées aux portes de la Ruhr, la bataille pour Ehrenfeld (PFE), Talence, ENSAP de Bordeaux, 2014, ressource en ligne,
– Rosier Moanna, Les lignes brisées : l’accident comme point de départ (PFE), Talence, ENSAP de Bordeaux, 2014, ressource en ligne.