Traversées
Présentation du domaine d'étude
Traversées interroge la pratique du projet comme outil pour penser le monde et le transformer.
Pour panser les territoires malmenés par notre économie productiviste, il revendique l’ancrage dans le réel comme un acte de résistance critique.
Affirmant la capacité de la discipline architecturale à faire émerger une intelligence située, engagée au contact étroit de la société, il propose une approche holistique, du territoire au détail constructif, en manipulant l’imbrication de toutes les échelles.
Être architecte aujourd’hui.
La pluralité des pratiques que recouvre aujourd’hui le terme d’« architecte » reflète l’émergence de nouvelles manières d’agir qui abolissent les cloisonnements entre conception de l’espace, programmation, usages, techniques constructives, processus, etc, et qui revendiquent des prérogatives élargies. L’équipe du DE /Traversées/ est à l’image de cette reconfiguration de la profession réunissant paysagistes concepteurs, urbanistes, architectes praticien·nes, chercheur·euses dans plusieurs disciplines complémentaires. Dans ce cadre, la professionnalisation des études passe naturellement par la capacité à appréhender des champs de connaissance très larges. L’architecture y est conçue comme discipline culturelle qui, au-delà de ses prérequis techniques et compétences concrètes, doit être une méthode de pensée résiliente, plastique, adaptable à la multiplicité des contextes et des situations. La construction d’une méthodologie singulière et par essence transdisciplinaire passe par l’expérimentation de nouveaux outils d’investigation et d’élaboration du projet. Le terme Traversées évoque ainsi autant une approche transcalaire, à la fois spatiale et temporelle, que l’engagement sur un territoire arpenté, ou encore que les porosités (d’un milieu ou d’un contexte à l’autre), les franchissements (de limites, de seuils, de frontières, de lisières, etc.) et plus largement les transferts (culturels notamment, circulation de modèles d’une région, d’un pays, d’un continent à l’autre).
Agir dans l’anthropocène.
L’équilibre des milieux est menacé par l’anthropisation accélérée à laquelle nous participons tous, perturbant les cycles de vie et les interdépendances entre écosystèmes. Les êtres humains façonnent le paysage, en extraient les ressources et y stockent leurs déchets. Les politiques d’aménagement du territoire, l’urbanisation et l’industrie de la construction participent ainsi largement de ces bouleversements, accentuant les inégalités socio-spatiales.
Face à ce constat, il est urgent de changer d’échelle de compréhension des territoires dans lesquels nous intervenons. “Vu à l’envers, fait territoire tout ce qu’on peut localiser sur une carte en l’entourant d’un trait”, écrit l’anthropologue Bruno Latour (Où suis-je ?, 2021) ; “vu à l’endroit, un territoire s’étendra aussi loin que la liste des interactions avec ceux dont on dépend, mais pas plus loin” (ibidem).
L’architecte doit pouvoir être en mesure d’observer, de décrire, de comprendre et d’infléchir les logiques visibles et invisibles qui participent aux mutations d’un territoire, qu’elles soient sociétales, économiques ou écologiques. Il doit être conscient que ses interventions ont un impact, immédiat ou différé, sur les interactions complexes impliquant la roche, le sol, l’eau, l’air et les organismes vivants, régulant l’habitat naturel et déterminant la disponibilité des ressources nécessaires à la vie. Ces enjeux impliquent aujourd’hui un nombre croissant d’actrices et d’acteurs de toutes sortes, publics et privés, individuels et collectifs, humains et non humains. Leurs agissements, discours et pratiques, fondés sur la défense d’intérêts parfois opposés, s’inscrivent dans des dispositifs réglementés de concertation, de négociation et d’action ou, au contraire, les contestent et parfois en inventent de nouveau. L’ensemble de ces changements remet en question les instruments classiques de production et de transformation des milieux habités, les outils de réflexion et de représentation et les modes de décision collective.
Et comment ?
Dans tous les enseignements du DE Traversées, qu’ils soient liés au projet ou à la recherche, les étudiant·es enquêtent par l’expérience directe des lieux et la rencontre de leurs usagers, décrivent et représentent des situations, les interprètent, en comprennent ou fabriquent les récits. Les hypothèses sont construites au croisement de ces diverses échelles, que ce soit celle de l’édifice, du sol, de la ville ou du grand territoire.
Le séminaire engage un travail de recherche en architecture, croisant les méthodes et les outils de l’architecte avec ceux d’autres disciplines. L’étude portera sur des territoires en cours de mutation, au sujet desquels il s’agira de mettre en lumière les dynamiques et les conflits à l’œuvre (historiques, sociales, politiques, etc.). Au-delà de l’initiation à la recherche, ces travaux nourrissent la méthodologie et la culture commune à l’ensemble du domaine d’études au service de la pertinence du projet.
Les ateliers s’organisent chaque année autour d’un territoire commun aux deux années de master. Les territoires retenus alterneront entre des propositions locales et des contextes plus lointains, afin d’offrir la possibilité d’un décentrement. Au semestre impair, le travail porte principalement sur l’écriture d’une stratégie et d’un récit de projet de territoire, menant à une proposition de transformation de la situation identifiée. Au semestre pair, la stratégie constitue une phase préliminaire plus courte et appuyée sur les travaux du semestre précédent, pour arriver à des résolutions architecturales détaillées. La maîtrise de l’échelle constructive et les choix de mises en œuvre singulières résonneront avec la compréhension du contexte culturel et des ressources naturelles disponibles localement. Ainsi la construction d’une stratégie territoriale de mutation spatiale et culturelle constitue le ferment du projet architectural jusque dans ses détails constructifs et montre la capacité à traverser de manière cohérente les échelles de projet, du grand territoire à la formalisation d’une architecture composée et située.