Jardins du Japon
Par Denis-Marie Lahellec, conseiller architecture et développement durable, Rennes (35).
>> Le mercredi 28 mars 2018 à 18h.
Architectures et jardins japonais :
Présentation :
L’habitude a été prise, dans le monde de l’architecture, de considérer l’abord des constructions, au mieux comme l’écrin qui protège le « bijou » architectural, au pire comme un « délaissé » orphelin de bâti ; et le plus souvent, tel un espace neutre, comme interdit d’interférer avec l’architecture, objet essentiel du projet. Dommage !
Mais s’il est un pays où cet espace -l’abord de l’édifice- appartient dans sa totalité au projet architectural, il s’agit, à n’en pas douter, du Japon. Le jardin (tei-en) sous toutes ses formes, y tient alors une place de choix.
Qu’il soit jardin de temple ou de sanctuaire, de villa ou de palais, le jardin n’est pas distinct de la construction qui l’accompagne (et/ou qu’il accompagne). Ses traces, depuis des temps immémoriaux, nous montrent l’importance de ce lieu intermédiaire : transitoire entre extérieur et intérieur, médiateur entre nature et culture, mélange savant de sauvage et d’artifice.
Dès le 6ᵉ siècle de notre ère, des jardins d’eau (« san-sui »), initiés par des moines bouddhistes venus de Chine, ont modelé profondément la configuration des sanctuaires shintoïstes, comme des temples bouddhistes. Cette forme archétypale (montagnes-étang-îles) s’est déclinée au fil du temps, au gré des régimes politiques et socio-économiques qui se sont succédés dans l’archipel :
– jardins-paradis, typiques de l’Amida-bouddhisme ésotérique des origines (ères Nara et Heian ; du milieu du VIème au XIIème siècle),
– compositions viriles et martiales, témoignages du temps des guerres claniques pour l’unification de l’archipel (ères Kamakura à muromachi ; du XIIIème au milieu du XVIème siècle),
– formes amples et voluptueuses d’un Japon féodal pacifié et isolationniste (ère Edo, du milieu du XVIème au milieu du XIXème siècle).
Avec le bouddhisme « Chan » importé à nouveau de la Chine pendant l’ère Kamakura (milieu du XIVème siècle, apparaissent des jardins zen (« kare-san-sui »). Abstraits ou figuratifs dans leur expression, et minimalistes par principe (petits, plats et « secs »), ils sont naturellement propices à la méditation et à la vie d’ascèse. Ils ont alors la faveur des moines dont ils vont régler la vie quotidienne, et renouveler radicalement le paysage de leurs lieux : temples et monastères.
L’art du thé apparaît très tôt au Japon. Aristocratique et populaire tout autant, il va progressivement concerner presque toutes les couches de la société. La pratique de cet art fera naître dans la maison (palais, monastères, villas, …) un nouvel espace, totalement dédié : le pavillon de thé (so-an) et son jardin (« ro-ji »). Toutefois, c’est au XVIIè siècle, au cœur de l’ère Edo que les jardins de thé se développent et se popularisent. Le rituel de la cérémonie du thé (« cha-no-yu »), ainsi que les éléments végétaux et construits de la composition de ces jardins seront, dès lors, strictement codifiés.
Des jardins du Japon on connaît surtout, en Occident, les jardins secs, dits jardins « zen ». Autrement dit, ceux dont les formes et les principes sont les plus étrangers à notre conception occidentale du « jardin » et les plus éloignés des canons esthétiques que nous leur accordons ; le jardin du Ryõan-ji à Kyoto en est le meilleur exemple.
Or, l’histoire (l’actualité également), nous montre l’exceptionnelle diversité des types de jardins qui se sont développés au fil du temps au Japon :
– sous l’influence croisée des grandes cultures riveraines : indienne pour le bouddhisme, chinoise pour le confucianisme et le taoïsme, chinoise et coréenne pour l’architecture,
– mais aussi au gré des régimes politiques et des modes culturaux très particuliers ; ce pays qui sait depuis toujours créer et parfaire sa propre culture, d’un raffinement et d’une sophistication rares, à partir de « modèles » très souvent importés.
Aujourd’hui, toutes ces formes de jardins coexistent, souvent au sein d’un même lieu, qu’il soit d’origine aristocratique, laïque ou religieuse.
De cette richesse, on retient quelques principes fondamentaux qu’il est aisé de mettre en pratique dans nos projets : le respect du contexte qu’il soit bâti ou naturel, la prise en compte fine des usages, l’attention portée aux ambiances, et le souci des détails de mise en œuvre.
Si ces principes constituent naturellement la base des projets en architecture, ne doivent-ils de la même manière inspirer l’aménagement de leurs abords ? Je tenterai d’illustrer cette question à partir de quelques-unes de mes réalisations, en régions Centre-Val-de-Loire, Pays-de-Loire et Bretagne.
Biographie :
Après obtention d’une maîtrise des sciences et techniques en aménagement du territoire à l’Université de Tours, il entreprend une thèse de doctorat en urbanisme qu’il soutient à l’Université de Toulouse. Féru d’architecture et de patrimoine, il entre ensuite à l’École d’architecture de Nantes et devient architecte DPLG.
Il entame son activité professionnelle au sein du Comité d’expansion économique du Tarn, puis il intègre l’équipe du CAUE du Gard en tant que Conseiller auprès des collectivités locales.
Sa carrière se déroule ensuite au service de l’État : Ministère de l’écologie en qualité d’Inspecteur des sites en région Centre-Val de Loire, puis en qualité d’Adjoint au service des Bâtiments de France des Côtes d’Armor, enfin, au Ministère de la culture en tant que Conseiller pour l’architecture, à la DRAC de Bretagne.
Il passe 2 ans et demi au Japon, en 3 séjours : une mission sur le thème des aménités urbaines pour le Ministère de l’écologie, une recherche post-doctorale au département architecture et paysage de l’Université de Tokyo sur le thème de la protection du patrimoine, enfin une étude sur la clientèle touristique japonaise pour le Ministère du tourisme et la Caisse nationale des monuments historiques.