“Écologies et transformations des manières d’être sensibles ?”
Par Emeline Curien
Biographie :
Émeline Curien enseigne à l’ENSArchitecture Nancy et est chercheuse au LHAC, laboratoire dans lequel elle poursuit ses recherches sur les pratiques contemporaines de l’architecture et la question écologique élargie.
Elle fait partie d’une équipe pédagogique et scientifique pluridisciplinaire intitulée « Mutations », qui cherche à comprendre et penser les enjeux des transformations et ruptures en cours et leurs impacts sur l’habiter dans toutes ses dimensions.
Elle est notamment l’autrice des ouvrages Gion A. Caminada, S’approcher au plus près des choses ; Pensées constructives, architecture suisse alémanique, 1980-2000 ; Pourquoi bâtir encore ? Atelier d’architecture Éric Furnémont ; Pesmes, art de construire et engagement territorial.
Elle participe également à la fondation Naya, qui a pour désir d’expérimenter de nouveaux imaginaires de vie, participer à l’enrichissement des sens et sensibilités, et construire de nouvelles formes de partage et de solidarités.
Présentation :
Le temps est sorti de son orbite. Rupture de trajectoire.– nous avons perdu tout repère. Cécité – nous ne voyons plus devant nous. Aveuglement – voulons-nous vraiment savoir ? Le tissu des mondes connus – tramage serré des plantes et des nuages, des abeilles et des fleurs, des molécules et des températures, des êtres humains et des êtres humaines, des réseaux et des machines – se déchire. Dans le champ de l’architecture, choisir des matériaux bio- et géo-sourcés, des stratégies bioclimatiques, des circuits courts, mobiliser l’ensemble des acteurs concernés par le projet… est essentiel, mais ne suffit pas à répondre aux multiples situations de vulnérabilités – physiques comme psychiques – qui apparaissent. Ces gestes ne suffisent pas nécessairement à reforger des relations autres avec nos voisins humains, non-humains, plus- qu’humains voire transhumains. Pour vivre de nouvelles vies qui valent la peine d’être vécues dans des mondes de moins en moins habitables, ce sont aussi nos sensibilités qu’il nous faut transformer.
Pour approcher la manière dont les formes et les processus architecturaux peuvent participer à cette fabrique politique de nouveaux sensibles, il est intéressant de revenir sur quelques-unes des réalisations (constructions comme transformations de l’existant) de la fin du XXè et des débuts du XXIè siècles, et de les interroger du point de vue des affects : comment tissent-elles nos relations avec notre extériorité – sociale, animale, végétale, cosmique… – et comment, en conséquence, nous construisent-elles anthropologiquement ? Que nous apprennent-elles pour penser plus en profondeur les enjeux des actes que nous posons, comme architectes, dans l’espace ?
Trois thèmes seront explorés autour d’exemples de réalisations architecturales en Suisse, France et Belgique, et permettront d’ouvrir ces champs de questionnements.
– Les atmosphères que produisent les architectes, au- delà d’offrir des ambiances habitables en situation de grandes chaleurs et de nous faire vivre des expériences individuelles riches, peuvent-elles participer d’une thérapeutique pour les corps sociaux ? Peuvent-elles renouveler notre perception des milieux qui nous entourent ?
– Les images que convoquent parfois les concepteurs au cours du processus de conception sont-elles seulement une mobilisation des souvenirs personnels du créateur, ou peuvent-elles aussi condenser les traces du conscient et de l’inconscient des cultures, afin d’inscrire l’architecture en tant qu’acte collectif au sein d’une société ? Peuvent- elles nous aider à tisser des relations d’attachement et de soin au milieu dans lequel nous vivons, et participer à transformer certains des rapports de force qui structurent pour l’instant nos existences ?
– Les organisations spatiales et les fondements symboliques qui les sous-tendent peuvent-ils être le support de nouvelles pratiques sociales, et engager d’autres relations de participation avec les êtres et les choses qui nous entourent ?